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Histoire d’un concept. Au plus fort de l’épidémie de Covid-19, on parlait beaucoup des « travailleurs invisibles ». Le terme désigne un vaste ensemble d’activités, mal valorisées en termes de salaire et de symbolique, malgré une importance sociale devenue évidente. Au-delà des emplois sous-payés dans les soins de santé ou les soins personnels, il ciblait également le travail domestique non rémunéré, effectué quotidiennement à domicile. Ce que des décennies de luttes féministes avaient peiné à faire, le Covid semblait sur le point de l’accomplir : le « travail invisible » faisait son entrée dans le débat public.
Le terme est entré en circulation dès les années 1970. Année internationale de la femme décrétée par l’ONU en 1975 marque un premier tournant. Cette année-là, une conférence internationale, tenue à Mexico, a lancé une réflexion sur le travail domestique et la garde des enfants. Il ne s’agit plus de penser les occupations des mères à la manière des traités d’économie domestique du XIXe siècle.e siècle. Celle-ci, tout en cherchant à rationaliser la conduite des ménages, y voyait essentiellement la preuve dans les actes d’amour maternel. On pourrait alors nier la nature de ce « travail », tout en reconnaissant le rôle crucial de la famille pour assurer la reproduction de la main-d’œuvre.
Contrairement à ces approches, la réflexion porte désormais sur la prise en compte du travail non rémunéré dans les comptes nationaux. En 1981, l’INSEE estimait que le travail domestique occupait 48 milliards d’heures par an, contre 41 milliards pour le travail professionnel salarié. En 2009, le rapport Stiglitz estimait la production nationale à 35 % du produit intérieur brut de la France. Globalement, le montant du travail non rémunéré des femmes est estimé en 2020 par Oxfam à 12,5 milliards d’heures quotidiennes, pour une valeur annuelle de 10 800 milliards de dollars (plus de 9 550 milliards d’euros). L’équivalent du travail effectué par 1,5 milliard de personnes travaillant huit heures par jour pendant un an.
La visibilité statistique n’est pas seulement une question symbolique. Dans son essai Femmes invisibles (First, 2020), la féministe britannique Caroline Criado-Perez dénonce les biais cognitifs qui contribuent à faire un monde d’hommes. Qu’il s’agisse de modèles statistiques ou de mégadonnées, les informations qui permettraient de prendre en compte les femmes sont parfois inexistantes, parfois inopérantes lorsqu’il s’agit de créer les normes de santé ou de sécurité qui guident les politiques publiques. Ce que le sociologue Jérôme Denis appelle la « travail invisible des données ».
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