EnquêteAvec le développement des outils de suivi et l’avènement du travail à distance, la surveillance des employés s’est déplacée en ligne. Il reste difficile de faire la distinction entre surveillance et protection.
« En principe, nous avons déjà été repérés, mais le travail à distance n’a pas arrangé les choses », se plaint Sybil (à la demande de l’employée, le nom a été changé). Quand cette téléconsultante de la Macif a l’opportunité de travailler à domicile, son manager ne se cache plus derrière son dos. Mais il apparaît sur son écran. « Nous recevons un chat ou un e-mail dès que nous attendons plus de trois ou quatre minutes entre deux appels. Parfois, tant de fenêtres s’ouvrent en nous demandant : « Qu’est-ce que tu fais ? vous ne pouvez même pas voir l’écran. J’ai un collègue qui a été critiqué pour s’être connecté à 8h02 au lieu de 8h00. »
A cette surveillance constante à l’aide d’écrans insérés s’ajoutent des tableaux de performances qu’il faut remplir régulièrement, gronde Sibile. Aux yeux du travailleur, ce contrôle « puéril » affecte négativement la motivation de l’équipe : « Certains de mes collègues perçoivent cela comme du harcèlement. » De son côté, la Macif nous a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur ce sujet.
Combien d’employés comme Sibile ont vu le travail à distance aller de pair avec la surveillance excessive ? Avec la première conclusion en mars 2020, cette organisation du travail à distance a été imposée de force aux employeurs. Un choc culturel dans un pays où 7% des salariés travaillaient à domicile en 2017, selon les estimations du service des statistiques du ministère du Travail. Les entreprises ont longtemps renoncé à l’idée de déplacer le bureau dans la maison. En novembre 2021, le patron du Medef Geoffroy Roux de Béziers retire le regard « glandes » qui lui était attaché. » Le télétravail a été une source de bouleversements pour de nombreux managers, confirme Florent Frontela, DRH chez Deloitte. L’absence des salariés devant eux ne les dérange plus. »
Selon une étude Vanson Bourne pour l’éditeur de logiciels VMware publiée en 2021, 63% des entreprises françaises envisagent ou ont déjà mis en place des outils visant à renforcer leur surveillance. Selon Régis Chatelier, chargé de l’innovation et de la recherche avancée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), certains employeurs pourraient être tentés de franchir la ligne jaune : «Depuis la première détention, nous avons reçu de nombreux appels qui ont soulevé des inquiétudes quant au fait qu’il pourrait y avoir des tentatives plus que nécessaires pour contrôler les personnes travaillant à domicile. »
Chez IBM, Yannick Edouard, porte-parole de la centrale syndicale CFE-CGC, évoque l’excès de zèle de certains managers : « Au tout début de la quarantaine, certains ont organisé une vidéoconférence tôt le matin et ont demandé aux employés de rester en contact jusqu’à la fin de la journée. » Cette pratique était marginale, relativise le représentant du syndicat, et la direction y a très vite mis fin.
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