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Super bénéfices, super émissions de dioxyde de carbone, mais toujours une super promesse environnementale pour l’avenir. L’armateur CMA CGM, qui a dégagé un bénéfice net historique de 24,9 milliards de dollars (23,5 milliards d’euros) en 2022, est aussi un gros émetteur de gaz à effet de serre (GES), comme l’ensemble du secteur maritime. Pourtant, l’entreprise affirme viser le « zéro carbone » en 2050 pour apporter sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique.
Un engagement crédible ? En France, une loi oblige justement, depuis plus de dix ans, les grandes entreprises à quantifier leurs émissions de GES, à les publier sur le site de l’Agence de la transition écologique (Ademe), et à mettre en place des actions pour les réduire. Mais pas CMA CGM. Demandé par Le mondel’armateur affirme avoir prévu de se conformer prochainement à l’exercice.
L’entreprise française la plus rentable en 2022 est loin d’être un cas isolé. À peine un tiers des quelque cinq mille organismes privés ou publics concernés par cette obligation légale s’y sont conformés en 2021. Un écart qui témoigne autant de l’échec d’un système que de l’apathie des acteurs concernés face à la transition environnementale. , même si le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié lundi 20 mars, souligne une nouvelle fois l’urgence d’agir rapidement pour contenir le réchauffement climatique.
Le bilan GES, une obligation née du Grenelle de l’environnement
L’obligation de réaliser un bilan des émissions de gaz à effet de serre (bilan GES) a été créée en France par la loi Grenelle 2 en 2012. Elle s’applique à plusieurs catégories d’acteurs :
- Entreprises de plus de 500 salariés (250 à l’étranger) ;
- Établissements publics de plus de 250 salariés ;
- Collectivités locales de plus de 50 000 habitants ;
- Services de l’Etat.
Le bilan doit être publié tous les trois ans (quatre pour les sociétés). Depuis 2016, il doit être mis en ligne sur le site de l’Ademe depuis 2016.
Cette contrainte vise à amener les organisations à identifier et quantifier les sources de gaz à effet de serre dans leurs activités, puis à réfléchir aux actions à mener pour les réduire. « Bien tenir compte de ses émissions permet d’avoir un plan d’action cohérent par la suite »explique l’Ademe.

Une obligation largement ignorée
Séduisante sur le papier, l’obligation de réaliser un bilan GES n’a pas tenu ses promesses, d’abord parce qu’elle est majoritairement ignorée. Ainsi, 65 % des 4 970 organismes soumis à cette obligation ne l’ont pas fait, selon le décompte de l’Ademe pour l’année 2021. La situation s’est même détériorée, puisqu’ils n’étaient que 40 % de récalcitrants en 2013.
Alors que les très grandes entreprises jouent majoritairement le jeu, Le monde a constaté que certains d’entre eux manquaient toujours à l’appel début janvier 2023, lors de la dernière mise à jour de la base de données de l’Ademe. Parmi eux : Dassault Systèmes, Leclerc, Eiffage, Vivendi… et le groupe Le Monde.
Ces « oublis » sont facilités par la clémence de l’État, qui ne se montre guère offensant dans la mise en œuvre de cette réglementation entrée en vigueur il y a dix ans. Des agents des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) sont en effet chargés du contrôle du respect de la loi, mais les sanctions, bien que renforcées par la loi climat 2019, restent dérisoires (amende simple de 10 000 euros, portée à 20 000 euros en cas d’infractions répétées), voire inexistante. Interrogé sur le nombre d’organismes sanctionnés pour ne pas avoir fait de bilan GES, le ministère de la Transition écologique explique que « les contrôles ont eu essentiellement un but pédagogique et incitatif, jusqu’à présent ».
Cependant, les entreprises récalcitrantes ne semblent pas convaincues à ce jour de l’importance de la démarche. Pour justifier son absence de bilan GES, Vivendi se réfère par exemple à des données similaires qu’il a publiées sur d’autres plateformes, comme le Carbon Disclosure Project, géré par une ONG, ou dans son rapport annuel. Or, le niveau de précision de ces publications est souvent bien inférieur à celui des données demandées par la plateforme publique de l’Ademe. Vivendi est heureux d’affirmer que les données sont « calculé avec des sociétés spécialisées », les informations publiées dans les rapports annuels des entreprises sont souvent peu détaillées et ne permettent souvent pas de comparer les entreprises d’un secteur entre elles. Proche MondeVivendi assure toutefois qu’il publiera un premier bilan au format Ademe « d’ici fin 2023 ».
Les collectivités locales souvent à la traîne
La sphère publique elle-même n’a pas vraiment donné l’exemple à cet égard. A commencer par les régions, dont les agents sont pourtant chargés de faire respecter la loi. Selon notre enquête, seules six des dix-huit régions françaises étaient à jour de leur obligation début 2023 : Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Centre-Val de Loire, Grand Est, Normandie, La Réunion…
Les réponses des acteurs récalcitrants interrogés par Le monde montrent que les collectivités locales sont souvent aussi en retard que les entreprises dans leurs réflexions. Ainsi, Laurent Wauquiez, président de la région Rhône-Alpes-Auvergne, se défend du non-respect de la loi en 2023 en invoquant le contexte de la fusion des régions (pourtant qui a eu lieu début 2016). Son service de presse assure cependant qu’un » réflexion « s’est penché sur le sujet pendant « Développer une stratégie régionale de décarbonation » et publier un bilan 2023 actualisé. La région Ile-de-France, présidée par Valérie Pécresse, a publié son premier bilan GES après la publication de notre article, vendredi 24 mars.
Le bilan n’est guère meilleur au niveau des départements, dont moins de la moitié ont publié un bilan carbone. C’est en revanche plus positif du côté des grandes villes et métropoles : parmi les dix les plus peuplées de France, seules Nantes (qui affirme être en train de publier son bilan) et Marseille sortent des clous.
Interrogées pour l’évaluation de l’Ademe, les organisations qui n’ont pas respecté leur obligation de déclaration en 2021 ont le plus souvent invoqué le manque de moyens humains ou financiers ainsi que la complexité et la durée de l’exercice. Des justifications qui s’appliquent aussi bien au secteur public qu’au secteur privé.
Travail trop souvent imprécis et incomplet
Mais le problème ne s’arrête pas à ces récalcitrants. Même parmi les 35 % de « bons élèves », une bonne partie des bilans GES publiés s’avèrent en réalité largement inexploitables, du fait de leur imprécision. L’exercice a aussi longtemps été faussé par le fait que l’obligation de reporting était limitée aux émissions directes et indirectes des entreprises concernées – on parle, dans le jargon, de « scopes ». Dans l’exemple d’un constructeur automobile, le scope 1 inclut les émissions de GES directement de ses usines et le scope 2 ajoute les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie de ses unités de production (celles des centrales électriques qui produisent son électricité par exemple).
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Avantage
Vient enfin le scope 3, qui couvre les émissions de GES liées aux produits et services achetés par l’entreprise ou via l’utilisation finale de ses produits. Dans l’exemple de notre entreprise automobile, ce périmètre inclut notamment les GES émis lors de la production et du transport des matières entrant dans la fabrication des véhicules. Il prend également en compte les émissions des véhicules entre l’usine et leur point de vente, et surtout celles qu’ils vont générer en roulant.
De cet exemple, on comprend que le scope 3 est, de loin, le poste d’émission le plus important dans la plupart des secteurs d’activité, à l’exception des grands sites industriels ou de l’extraction d’énergie fossile. C’est pourquoi les bilans carbone doivent en principe prendre en compte ces facteurs, afin de mettre en évidence les dépenses d’une activité utilisant des énergies fossiles. Mais la loi française a depuis longtemps rendu facultative sa prise en compte dans les bilans GES. Une anomalie qui n’a été corrigée qu’au 1euh Janvier.
Ainsi, de nombreuses organisations ont jusqu’à présent renoncé à quantifier l’ensemble de leur empreinte carbone, faute d’y être obligées. Le scope 3 a été ignoré dans près de la moitié des bilans déposés à l’Ademe entre 2018 et 2021 – notamment par les grands émetteurs de CO2comme Total Energies, Esso ou Lafarge.
Même parmi ces entreprises, la qualité de l’exercice est variable. En moyenne, les entreprises fournissent des informations sur seulement 4,6 des 15 postes d’émissions du champ d’application 3, en se concentrant sur les plus faciles à remplir plutôt que sur les plus importants. Parmi les rubriques les plus souvent renseignées, on retrouve par exemple les déplacements professionnels et les achats de produits ou de services. Très peu d’organisations ont, à l’inverse, estimé les émissions de CO2 liées à l’utilisation de leurs produits.
Pour Juliette Decq, spécialiste de ces questions au cabinet Carbone 4, la réglementation française « est une première brique nécessaire, mais très insuffisante. Dans tous les cas, c’est un sujet qui doit passer par la réglementation, sinon les entreprises ne se lanceront pas. L’évolution de la réglementation européenne va également dans le bon sens ».
La lecture des plans d’action qui accompagnent ces rapports montre que cette réflexion est encore insuffisamment engagée. Bon nombre d’entreprises se contentent ainsi de petits gestes pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. « Equiper 100% de nos magasins en éclairage intérieur avec des sources LED » (Adidas), « sensibiliser les salariés aux économies d’énergie » (Groupama Méditerranée), « désigner un ambassadeur de la sobriété et du climat dans chaque magasin » (La Grande Récré)… autant d’actions générales et fondamentales qui ne nécessitent aucune réflexion particulière pour être adoptées.
Plus largement, ces mesures semblent insuffisantes pour être en ligne avec les objectifs du gouvernement pour les années à venir. La France doit en effet réduire ses émissions de 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990, alors qu’elles n’ont baissé que de 20 % entre 1990 et 2019. Le déploiement laborieux du bilan GES, encore minoritaire après plus d’une décennie, illustre bien à quel point la étape est.
Au-delà des chiffres, selon elle, la comptabilité carbone doit s’accompagner d’une réflexion approfondie au sein des entreprises : « Avant de se lancer dans un plan d’action, il faut réfléchir au point de départanalyse Juliette Decq. Certaines activités devront être créées, par exemple dans l’économie du réemploi, et d’autres devront disparaître. C’est le nœud de l’histoire. »
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