Le bulletin de paie est-il l’ennemi de l’emploi ? Alors que de plus en plus de ménages se serrent la ceinture face à la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, cette question récurrente vient d’être relancée par Patrick Artus. Le conseiller économique de la banque natixis, qui est l’un des experts dont la voix est particulièrement écoutée en France, a affirmé, le 28 avril, que la réflexion sur le pouvoir d’achat « affrontements [à un] tabou » : celle du « croyance très profonde en la grande majorité des économistes » selon laquelle une augmentation de « salaires plus bas » détruit des positions « peu qualifiés[s] ». « Est-ce vrai? », se demanda-t-il, sans se prononcer ni par l’affirmative ni par la négative.
Le simple fait d’exprimer des doutes provoque des réactions contrastées parmi ses pairs et est susceptible de fournir des arguments à tous ceux, en particulier à gauche comme parmi les syndicats, qui exhortent les pouvoirs publics à augmenter le salaire minimum plus généreusement.
M. Artus a fait ces remarques lors de l’Economics Club, une réunion-débat organisée par Monde. Le conseiller de natixis a rappelé que depuis une décennie, le salaire minimum n’a pas reçu « pas de coup de pouce », ce qui signifie que l’État se limite à accorder les réévaluations obligatoires prévues par les textes (celles qui interviennent tous les 1Er Janvier et ceux qui se produisent, le cas échéant, au cours de l’année où l’inflation monte en flèche, comme l’augmentation de 2,65 % qui est entrée en vigueur le 1Er Mai). Cette modération est conforme aux recommandations que le comité d’experts sur le salaire minimum présente chaque année dans un rapport soumis au gouvernement : pour ce groupe de personnalités qualifiées, une augmentation excessivement soutenue du salaire minimum risquerait de nuire à l’embauche de travailleurs rémunérés à ce niveau.
« Plein de contre-exemples »
Cette certitude, qui repose sur de nombreuses recherches, devrait cependant être réexaminée aux yeux de Patrick Artus, car il y a « plein de contre-exemples ». Le conseiller de Natixis profite d’une étude célèbre réalisée au milieu des années 1990 par David Card et Alan Krueger : les deux économistes s’étaient intéressés aux établissements du secteur de la restauration rapide aux États-Unis, qui avaient considérablement augmenté la rémunération de leurs salariés les moins bien payés. Résultat: « Cela n’a pas du tout détruit d’emplois », a déclaré Patrick Artus. Au contraire, même : « Ils [en] ont créé. » Depuis « nous devons creuser plus profondément dans cette question » en menant de nouvelles enquêtes, voire en « expériences » ce qui pourrait se traduire par des augmentations fortes et très localisées du salaire minimum afin d’évaluer son impact.
Vous avez encore 41,83% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.