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Dès le matin du jeudi 15 juin, nous en étions sortis asphyxiés. Devant la cour d’assises de la Drôme, le chef de l’enquête venait d’évoquer les milliers de fichiers – dont certains faisaient plusieurs centaines de pages – déterrés de l’ordinateur de Gabriel Fortin. Quinze ans de ressentiments et d’obsessions se sont déversés frénétiquement, jusqu’au triple assassinat et à la tentative d’assassinat de janvier 2021. Et depuis, un silence absolu, obstiné, opposé par l’accusé à toutes les questions qui lui sont posées. « Avez-vous quelque chose à ajouter à ce qui a été dit sur votre personnalité ? », le président, Yves de Franca, lui avait demandé. » Non. «
À la reprise de l’audience, Gabriel Fortin s’est levé dans le box, son stylo à la main.
« Toute l’enquête sur la personnalité était dépendante. Ils ont tous dit que j’étais boiteux, insubordonné, paranoïaque, psychopathe. »
Le président l’invite à continuer.
» Non merci. «
Chacun tente tour à tour d’ouvrir la forteresse Fortin. Me Denis Dreyfus, l’un des avocats de la partie civile, s’approche à pas mesurés, tend la main :
« Gabriel Fortin, on aimerait comprendre. Es-tu un homme qui a souffert, qui a connu l’injustice ? Et qui veut le dire ? »
Silence.
Il griffonne frénétiquement
Son collègue de la partie civile, M.e Hervé Gerbi, prend un chemin détourné.
« J’ai lu que tu vas souvent au salon du livre de Nancy. C’est vraiment intéressant, cet aspect de votre personnalité. En 2019, je crois, vous y avez rencontré Abd Al Malik, le rappeur, scénariste et réalisateur. Souhaitez-vous nous parler de lui ?
− Je ne répondrai pas. »
L’avocat général, Laurent de Caigny, tourne autour de la loge comme le renard cajoleur de La Fontaine au pied de l’arbre aux corneilles.
« Gabriel Fortin, ce matin, tu m’as aidé, tu m’as corrigé [l’accusé avait consenti à apporter une précision sur une plainte déposée pour… un vol de vélo], et je vous remercie. J’aimerais donc que vous m’aidiez sur quelques points supplémentaires du dossier. Par exemple, sur votre expérience de travail en Allemagne [le premier poste d’ingénieur salarié occupé par l’accusé au début des années 2000]. Il paraît que tu étais heureux là-bas…
− Je ne répondrai pas.
− Je comprend trés bien. Mais vous avez aussi dit à un moment donné que les fichiers informatiques ajoutés à votre dossier étaient tronqués… [L’accusé avait dénoncé d’une phrase incompréhensible leur « origine douteuse »] Pourriez-vous fournir des détails? Parce que, tu vois, c’est important, je ne voudrais pas faire d’erreurs… »
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