« La créativité naît de l’anxiété comme le jour naît de la nuit noire. » « C’est dans la crise que naissent l’innovation, les découvertes et les grandes stratégies. » Massimo Paperini cite Albert Einstein en anglais devant une trentaine d’étudiants. Le professeur, qui n’est pas philosophe mais architecte naval, assure le cours « La conception de yachts du troisième millénaire » dans le cadre du master « design yacht » à l’Ecole Polytechnique de Milan. Sur un grand écran, le professeur projette une carte de l’Italie parsemée de points rouges : « Il s’agit d’aires marines protégées. L’accès aux plus belles mers de notre planète est désormais interdit aux armateurs peu soucieux de l’environnement. Nous comptons sur vous pour maîtriser la réglementation visant à respecter les fonds marins. »
Une injonction à relativiser : émissions de gaz d’échappement, utilisation de peintures contenant des substances nocives, rejet d’eau contaminée, dégradation des fonds marins… La grande plaisance est une activité intrinsèquement polluante. « Loués de 225 000 euros à 1 million d’euros la semaine, consommant 2 000 litres de carburant par heure, les superyachts sont un miroir grossissant révélant la montée en flèche des inégalités économiques et l’accélération de la catastrophe écologique », souligne Grégory Salle. L’auteur de Superyachts. Luxe, calme et écocide (éditions Amsterdam, 2021) rappelle que la flotte des 300 plus grands superyachts en opération émet à elle seule près de 285 000 tonnes de dioxyde de carbone, soit autant voire plus qu’un pays entier. « Aujourd’hui, les porte-parole de l’industrie des superyachts ont la bouche pleine de préoccupations environnementales. Eux aussi se disent touchés par la grâce du développement durable », résume, non sans ironie, le sociologue.
« Bien sûr, un superyacht a une mauvaise empreinte carbone. Mais nous n’allons pas tous faire du paddle », explique Alexandra Illa, étudiante en yacht design.
Peut-on vraiment allier superyacht et sobriété ? « Les superyachts sont de plus en plus médiatisés, notamment avec la confiscation des avoirs des oligarques russes en raison de la guerre en Ukraine. Tant mieux : c’est une opportunité à saisir pour développer la filière », assure Dimitris Magenis, 26 ans, qui a intégré le master « yacht design » à l’École polytechnique de Milan après des études d’architecture en Grèce. Avec trois camarades de classe, il s’exerce à concevoir un voilier et un superyacht à moteur. L’équipe commence par imaginer le propriétaire : un banquier sportif de 35 ans qui aime voyager dans les coins les plus reculés de la planète.
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