C’est le paradoxe des très petites entreprises (TPE). Dans ces organisations qui comptent moins de dix salariés, la santé des travailleurs est, selon les statistiques publiques, meilleure qu’ailleurs. Néanmoins, « la présence de risques professionnels y est plus forte, et (…) la prévention (…) très peu développé »soulignent Emilie Legrand et Fanny Darbus, maîtres de conférences en sociologie.
Afin de faire la lumière sur cette contradiction, les deux universitaires ont mené une enquête dans ces petites structures, dans des secteurs d’activité (coiffure, restauration, bâtiment) où salariés et patrons sont particulièrement exposés. Une étude minutieuse, menée sur un terrain peu exploré jusqu’à présent par la recherche, et dont ils livrent les conclusions dans un essai : Santé et travail dans les TPE (Erès).
Le livre démontre rapidement que « ces métiers mettent (…) santé tendue ». Voir ces petites structures comme des espaces préservés est une illusion. Station debout prolongée, port de charges lourdes, risque de chute, de brûlure… Les dangers et les épreuves sont multiples, les pathologies rencontrées tout autant. Les douleurs chroniques (dos, mains, etc.) sont fréquentes et peuvent toucher les plus jeunes.
La souffrance au travail fait partie du quotidien des salariés. C’est même un standard intégré par beaucoup d’entre eux. Les risques sont « identifiées comme des composantes essentielles, sinon identitaires, du métier et souvent acceptées comme incontournables »expliquent les auteurs.
Une pénibilité acceptée
L’endurance est souvent célébrée. De ce fait, la plupart des salariés poursuivent leur activité même en cas de douleur. Les problèmes de santé sont ainsi rendus invisibles, les arrêts de travail sont rares et leur étude ne permet donc pas d’appréhender la réalité du terrain.
Pourquoi une telle acceptation des difficultés et des risques ? Différents ressorts sont à l’œuvre. L’endurance et la résistance à la douleur sont des marqueurs culturels communs à de nombreux salariés, notamment ceux issus des classes populaires. Certains salariés souhaitent également soutenir la santé économique de l’entreprise, toute absence pouvant entraver son bon fonctionnement. La solidarité peut aussi être à l’œuvre dans ces TPE où, souvent, « l’état du collectif de travail et la vitalité de l’entreprise passent avant la santé de chacun, et a fortiori celle des plus fragiles ».
Pour éviter que les corps ne souffrent trop, des stratégies peuvent cependant être déployées par les salariés. Elles sont souvent informelles : jouer sur le planning des rendez-vous dans les salons de coiffure, placer les tâches les plus exigeantes en fin de journée dans l’immeuble… De même, pour limiter la souffrance psychique et faire accepter la pénibilité, la cohésion apparaît indispensable. « Assurer la « bonne ambiance » au sein de l’équipe » semble agir comme un « analgésique », notent les sociologues. Cette atmosphère représente donc une « problème hautement stratégique » pour certains propriétaires de très petites entreprises, appelés à travailler leur gestion en conséquence.
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