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« Dernière œuvre », de Thierry Beinstingel, Fayard, 256 p., 19 €, numérique 14 €.
Pendant longtemps, c’était la coutume : les salariés de France Télécom ne disaient pas qu’ils y travaillaient mais qu’ils « appartenait ». Constatant ce particularisme, Thierry Beinstingel, retraité depuis 2020 de l’entreprise rebaptisée « Orange » en 2013, fait une pause au téléphone et souffle : « Cela semble fou aujourd’hui. » A tout le moins, il donne une idée du lien d’identification fort entre les salariés et l’ancienne entreprise publique, et de la violence avec laquelle le prochain plan de restructuration, visant à supprimer 22 000 emplois chez France Télécom (« FT ») entre 2007 et 2010. Le PDG de l’époque, Didier Lombard, avait fait savoir à ses équipes qu’il souhaitait que ces départs aient lieu « par la fenêtre ou par la porte ». Cette brutalité managériale théorisée avait généré une crise sociale majeure, marquée par des dizaines de suicides et des cas de dépression. Le 30 septembre, Didier Lombard (tout comme son ancien bras droit) a été condamné en appel pour « harcèlement moral institutionnel ».
Visiblement inspiré de ces faits, un procès similaire sert de toile de fond à Dernier travail, le nouveau roman de Thierry Beinstingel. Sur le même sujet, ce dernier avait publié, en plein scandale, Retour aux mots sauvages (Fayard, 2010). « Je l’avais écrit chaud », dit-il aujourd’hui. A l’époque, la société (qui n’était pas nommée dans le texte, comme elle ne l’est plus aujourd’hui – « Ça me rend plus libre ») l’avait « sous pression » : « Après avoir lu un article sur mon livre, un réalisateur avait fait 300 kilomètres pour me poser une question : ‘Partagez-vous les valeurs de l’entreprise ?’ » Cadre des ressources humaines dans l’Est, il estime avoir été « protégé » du fait que Retour aux mots sauvages se retrouve en lice pour le Goncourt.
Les questions qui le hantaient
Dans les années suivantes, Thierry Beinstingel a continué à travailler pour l’entreprise. Il écrit une thèse sur la « représentation du travail dans les récits français depuis la fin des ’30 glorieuses' » (soutenue en 2017), et poursuit son travail, étroitement lié à son sujet d’études universitaires. Dans le même temps, il y a eu la « refondation » d’Orange, où l’entreprise a tenté de « faciliter le dialogue » avec le staff, puis le premier procès (en 2019) jugeant les responsables, et son propre départ d’Orange. « Il m’a semblé qu’il était temps de revenir sur ces événements, peut-être avec plus de recul que dans Retour aux mots sauvages. » Et de revenir plus directement, même si toujours à travers la fiction, sur sa propre expérience en ressources humaines – Revenir… s’est penché sur les tâches des téléopérateurs – et les questions qui le hantaient : « Qu’est-ce que j’ai pu remarquer à l’époque ? « Ai-je refusé de voir des signaux ? « Ai-je manqué à mon éthique ? – l’écriture du livre, confie-t-il, n’a pas permis d’y répondre ; elle les a même « décuplé ».
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