Le télétravail éloigne-t-il les salariés de leurs représentants syndicaux ? La distance conduit-elle à un affaiblissement du dialogue social ? Avant la crise sanitaire, ce n’était pas le cas : selon une enquête publiée en 2017, les télétravailleurs n’étaient, à l’époque, ni plus hostiles ni plus indifférents aux syndicats que leurs collègues présents dans les locaux de l’entreprise, dans tous les domaines d’activité. vie syndicale : participation aux réunions, actions collectives, vote aux élections professionnelles.
La crise provoquée par l’épidémie de Covid-19 a changé la donne. « Le télétravail va désormais de pair avec moins de contacts avec les représentants du personnel »note le politologue Tristan Haute, maître de conférences à l’université de Lille, dans une étude réalisée pour la Fondation des sciences sociales.
En 2021, toutes choses égales par ailleurs (sexe, âge, niveau de diplôme, catégorie socioprofessionnelle, contrat de travail, taille de l’entreprise, appartenance à un syndicat), les télétravailleurs, en cas de problème, sollicitent l’avis d’un représentant syndical 1,3 fois moins que les salariés en face à face.
Nouveaux télétravailleurs
Pour Tristan Haute, ce changement est dû aux transformations profondes du travail à distance pendant la pandémie. Réservé, jusqu’au premier confinement de 2020, aux cadres bien intégrés professionnellement dans des entreprises qui les employaient de longue date, il a été étendu, dans la précipitation de la crise sanitaire, à une grande partie des salariés. Cependant, ces nouveaux télétravailleurs avaient moins d’ancienneté et étaient moins bien intégrés dans les collectifs de travail que leurs prédécesseurs : ils étaient donc plus éloignés de la représentation collective.
Parce que ces nouveaux venus dans le télétravail ne pouvaient pas s’appuyer sur les relations sociales établies avant la crise pour contacter les syndicats, ils avaient souvent du mal à solliciter leurs délégués du personnel. « La multiplication des expériences de télétravail dans les années à venir pourrait alimenter, comme lors de la crise sanitaire, une distance déjà grandissante entre les salariés et les syndicats, conclut Tristan Haute. L’enjeu pour les syndicats est donc de réinventer les manières d’aborder une main-d’œuvre de plus en plus dispersée. »
La Fondation pour les sciences sociales revient sur les travaux
Les travaux évoqués dans ces articles ont été menés par les lauréats 2022 de la Fondation pour les sciences sociales (FSS), présidée par l’historien François Weil, conseiller d’État et ancien président de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Créée en 2011, la fondation a pour directrice scientifique Claudia Senik, professeur à Sorbonne Université et à l’École d’économie de Paris. Chaque année, le Conseil scientifique choisit un thème de discussion et attribue des bourses aux chercheurs. Présenté, jeudi 30 mars, à Sorbonne Université lors du 10e Journée des sciences sociales, les ouvrages des onze lauréats de l’année 2022, consacrés au travail à distance, sont publiés aux éditions La Découverte dans Travail à distance. Défis, enjeux et limites (édité par Claudia Senik, 232 p., 25 €).