Elle n’imaginait certainement pas un destin de lanceuse d’alerte. Houria Aouimeur, 53 ans, a toujours privilégié la discrétion, à l’image de sa carrière, à l’ombre des employeurs. Elle ne pensait pas, non plus, qu’elle aurait un jour besoin d’une sécurité rapprochée, ni devoir se défouler devant les enquêteurs pour révéler les secrets d’un système où des milliards d’euros circulent librement, dans une certaine opacité. Houria Aouimeur n’envisageait pas, finalement, d’être en position d’être licenciée pour faute lourde, quatre ans après son arrivée à la tête de la délégation Unédic-AGS.
« J’ai le sentiment d’être l’objet d’une véritable ‘chasse à l’homme’ pour des raisons aussi délirantes qu’inavouables », elle se confie Monde, qui l’a longtemps rencontrée. Parfois elle craque, essuie quelques larmes. Son récit, étayé par de nombreux témoignages et un grand nombre de documents, jette une lumière crue sur les pratiques étranges d’un monde souterrain, où tous les moyens semblent permis, selon elle, pour détourner des centaines de millions d’euros, sur le dos des employés de entreprises en faillite. Houria Aouimeur est désormais la femme par qui passe le scandale.
Fin 2018, cet avocat de formation décroche un poste enviable : directeur national de l’Agence de garantie des salaires, l’AGS, un dispositif peu connu qui permet aux salariés des nombreuses entreprises françaises placées en redressement judiciaire chaque année (42 000 en 2022) de continuer recevoir leur rémunération. Les sommes brassées par cet amortisseur social sont colossales. Financée par les cotisations patronales, l’AGS a versé, ces treize dernières années, 24 milliards d’euros.
Précision essentielle : l’AGS n’est pas en contact direct avec les salariés. Ce sont les 300 mandataires sociaux recensés en France – accompagnés d’une cohorte d’avocats, d’experts et de conseillers en tous genres – qui reçoivent les fonds, qu’ils sont ensuite chargés de redistribuer aux salariés. LE » marché « des entreprises défaillantes est, selon la formule de Mmoi Aouimeur, « un fromage gigantesque ». Qui attise les convoitises. Au point, assure-t-elle en substance, d’être le théâtre de nombreux excès.
Courrier anonyme
Peu de temps après la nomination de M.moi Aouimeur, la Cour des comptes relève, dans un rapport de février 2019, « ambiguïtés » dans le régime de garantie des salaires et un « forte dépendance » vis-à-vis des huissiers de justice. Parallèlement, Houria Aouimeur prend connaissance d’un audit qu’elle a fait réaliser, dès sa prise de fonction, auprès du cabinet EY. En effet, rappelle-t-elle, « assez vite, les premières rumeurs de détournement de fonds » l’avait atteint.
Il vous reste 81,13% de cet article à lire. Ce qui suit est réservé aux abonnés.