Pour l’instant, les bonnes nouvelles continuent de tomber sur le marché du travail, malgré la vague de froid qui a frappé l’économie. Au premier trimestre, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) a baissé de 5% dans l’ensemble du pays – y compris à l’étranger, sauf à Mayotte – selon une note publiée jeudi 28 avril par Dares, la direction en charge des études au ministère du Travail. Cet indicateur s’élève aujourd’hui à 3,19 millions et tombe même sous la barre symbolique des trois millions (à 2,96 millions), si l’on ne prend en compte que la métropole, ce qui est sans précédent depuis dix ans. Des résultats flatteurs, susceptibles de renforcer Emmanuel Macron dans sa volonté d’éradiquer le chômage de masse à l’occasion de son second mandat.
L’évolution est favorable pour toutes les tranches d’âge, en particulier pour les personnes inscrites en catégorie A du Pôle emploi qui ont moins de 25 ans : -10,8% entre début janvier et fin mars en France, la baisse étant encore plus marquée sur un an (-25,4%). Une tendance en partie imputable à l’afflux d’apprentis : les patrons en ont recruté beaucoup, grâce aux aides massives accordées depuis l’été 2020 qui rendent cette main-d’œuvre quasi libre.
Le tableau d’ensemble plutôt encourageant doit toutefois être nuancé. De plus en plus de femmes et d’hommes sont à la recherche d’un poste tout en exerçant une activité réduite (catégories B et C) : + 0,6 % au premier trimestre et + 4,7 % en un an (en France métropolitaine). Il est probable que certaines personnes, auparavant classées dans la catégorie A, l’ont quittée en trouvant un emploi à durée déterminée, de sorte qu’elles continuent à pointer vers Pôle emploi, mais dans les catégories B et C. En d’autres termes, leur situation s’est améliorée, grâce à un contrat plus ou moins stable. C’est pour cette raison que la CGT parle d’un « déclin [de la catégorie A] encore une fois en trompe-l’œil, occultant l’augmentation de la précarité.
Le fait que les chiffres de la catégorie A aient continué de baisser si fortement au cours des trois premiers mois de l’année était loin d’être certain. Selon une estimation provisoire publiée vendredi par l’Insee, l’activité a stagné au premier trimestre : le PIB a enregistré une variation de 0%, due notamment à la baisse de la consommation des ménages (-1,7%). Par ailleurs, le nombre de déclarations d’embauche de plus d’un mois hors travail temporaire a très légèrement baissé entre début janvier et fin mars, selon l’Urssaf (-0,5%).
Emploi plus ou moins précaire
Le « très bons chiffres » communiqués jeudi par les Dares sont « relativement surprenant, car nous sommes entrés dans une période de ralentissement », commente Mathieu Plane, de l’Observatoire Français des conditions économiques (OFCE). Tout se passe, à ses yeux, comme si le marché du travail « est resté insensible – à ce stade – à la vague Omicron et aux retombées de la guerre en Ukraine » : hausse des prix de l’énergie et de certaines matières premières, perturbation accrue des chaînes d’approvisionnement, chute du moral des ménages et du commerce de détail… « Tous ces phénomènes devraient nuire à l’emploi puisqu’ils nuisent à la consommation, à l’investissement et donc – en amende – la croissance, termine Mathieu Plane. Si la baisse du chômage se poursuit – de manière quelque peu contre-intuitive – c’est parce que notre économie est devenue moins productive, au moins temporairement. » Fin 2021, rappelle-t-il, le nombre de postes était bien plus élevé qu’à fin 2019, « même si nous venions de retrouver un niveau d’activité à peine plus élevé qu’avant la crise ». Il faut donc « plus d’armes » aujourd’hui pour fabriquer la même quantité de richesse.
Une analyse partagée par Gilbert Cette, professeur à la Neoma Business School : « Une bonne performance en matière d’emploi se fait au prix d’une productivité lente, voire légèrement supérieure.n est en baisse, depuis un ou deux ans. » De nombreuses entreprises, dit-il, n’ont pas encore retrouvé le niveau de leur production avant la crise sanitaire, mais elles ont préféré garder les salariés qu’elles employaient avant l’épidémie afin de pouvoir répondre aux commandes lors de la reprise.ccurs. « Ils se sont retrouvés avec un sureffectif, qu’ils ont pu payer grâce à une trésorerie abondante accumulée avec les mécanismes de soutien mis en place par l’État . » note-t-il. Pour Gilbert Cette, une telle situation risque de soulever des difficultés si elle persiste, « parce que nous avons besoin d’une productivité vigoureuse pour financer la transition écologique, les augmentations de salaires, l’adaptation de notre société au vieillissement de la population, etc. »
Professeur à Sciences Po, Philippe Martin avance une explication complémentaire : « Le marché du travail résiste aux chocs, liés hier à l’épidémie de Covid-19 et aujourd’hui à l’invasion de l’Ukraine par la Russie » Déchiffre. Selon lui, il s’agit de« une rupture de tendance par rapport aux crises du début des années 2000 et de 2008-2009, qui ont entraîné une augmentation persistante du chômage ».
Le « quoi qu’il en coûte » a bien sûr joué en faveur de cela « résilience » grâce aux multiples aides accordées aux entreprises et aux actifs. « Mais cela doit sans doute aussi être considéré comme une conséquence des réformes entreprises au cours de cette période de cinq ans et avant 2017 pour rationaliser le fonctionnement du marché du travail . » souligne Philippe Martin, évoquant les nombreuses mesures prises au cours des quinze dernières années : assouplissement des règles d’adaptation des effectifs dans les entreprises, contrôle des indemnités industrielles qui donne de la visibilité sur le coût des licenciements injustifiés, introduction du licenciement conventionnel qui a facilité les séparations entre patron et salarié… « Tout s’assemble pour que la peur de l’embauche soit levée » résume-t-il.
La question est maintenant de savoir si, malgré sa résilience, le marché du travail ne finira pas par être pris dans les vents contraires qui soufflent sur la croissance.