Le grand patron aime les jets privés. Notamment aux Etats-Unis où les distances justifient des déplacements aériens fréquents. Pourquoi s’embêter à attendre des heures dans les files d’attente des aéroports quand on peut arriver un quart d’heure avant le départ de son propre avion, avec généralement un confort bien supérieur. La tentation est grande et la crise sanitaire a fourni de précieux arguments. Le trafic mondial a augmenté de plus de 20% en 2021 et les grands acteurs du secteur affirment avoir augmenté leur nombre de clients de 50%.
Cela se comprend pour les voyages d’affaires, face à des compagnies aériennes qui peinent à retrouver leur trafic d’avant Covid, moins pour partir en famille. C’est pourtant ce que Financial Times, qui répertorie les dépenses des entreprises dans les jets privés des cadres pour des «raisons personnelles». Meta, la maison mère de Facebook, a dépensé 1,6 million de dollars (1,5 million d’euros) en jets privés rien que pour transporter son patron, Mark Zuckerberg. Celui de Lockheed Martin, James Taiclet, est transporté dans sa maison de campagne. Au total, les frais de déplacements personnels payés par les entreprises ont augmenté de plus de 35 % entre 2020 et 2021, selon le cabinet de conseil aux investisseurs ISS.
Débauche aérienne
Cette débauche aérienne ne va pas mettre en péril les comptes de ces entreprises florissantes, mais elle est choquante et inquiétante. Quand le salaire des patrons augmente au rythme de l’évolution de la Bourse en 2021, avec des salaires dépassant couramment, aux Etats-Unis, le seuil des 20 millions de dollars, on se demande si ces chanceux ont aussi besoin que l’entreprise finance leur Floride. vacances. Si l’on ajoute l’empreinte carbone désastreuse de telles pratiques, on peut s’interroger sur le niveau de connaissance qu’ont les conseils d’administration des engagements de leur propre entreprise en matière sociale, environnementale et de gouvernance.
Le jet privé est aussi un assez bon indicateur de la dérive du contrôle de la gestion des entreprises. Lorsque le fonds d’investissement KKR apprit en 1988 que le patron de RJR Nabisco utilisait celui de l’entreprise pour faire voyager son berger allemand, ils comprirent qu’il était temps de vendre et de démanteler l’entreprise.
Depuis, les actionnaires en ont fait un indicateur de bonne gestion et d’intégrité du conseil d’administration. Il baisse sa garde. Le patron du fonds souverain norvégien, Nicolai Tangen, affirmait en mai dernier que « la cupidité des patrons atteint des niveaux sans précédent ». Quand les jets sont de retour, les loups de Wall Street peuvent aiguiser leurs dents.