Livre. La démarche est originale, mais peut surprendre. Explorer les contours du monde du « précariat » (un néologisme, né de la contraction des mots « précarité » et « prolétariat ») – qui concernerait 40% de la population des pays développés, selon l’économiste britannique Guy Standing -, le sociologue Nicolas Roux a choisi d’étudier en France deux catégories sociales très différentes, d’un côté les saisonniers agricoles, de l’autre les intermittents du spectacle.
En fait, ces deux populations ont le point commun d’être à l’opposé du modèle salarial « fordiste », où domine l’emploi stable à temps plein. Pour la France, ces catégories appartiennent davantage aux marges du monde du travail, puisque le contrat à durée indéterminée (CDI) représentait encore 85,3 % de l’emploi stable, selon les statistiques de l’INSEE, en 2016. Au total, 3,7 millions de personnes étaient toujours en emploi précaire en France cette année-là. Leur existence est plus pérenne et ancienne, puisque les journaliers agricoles comme les travailleurs de cachet dans le monde du spectacle étaient déjà très nombreux au XIXe siècle.e siècle, comme au début du XXe siècle.
Un fait social
Mais avec les récentes crises sociales – notamment le mouvement des « gilets jaunes » –, les discours sur l’avènement d’une « start-up nation » ou sur « l’ubérisation » de l’économie, l’idée que la précarité a gagné du terrain et fixée dans le temps mérite une analyse. Dans ces conditions, le fil conducteur de l’auteur est « pour voir clairement comment les individus gèrent au mieux leur situation, selon les ressources disponibles ».
Nicolas Roux étudie les conditions de soutenabilité et d’insoutenabilité de la précarité durable. La vie des saisonniers agricoles et celle des travailleurs du spectacle alternent entre périodes d’emploi et de chômage. La discontinuité est inscrite au cœur même de leur vie sociale, tant du point de vue du contrat (CDD, saisonnier, etc.) que du temps de travail (temps partiel, fragmenté, etc.). Mais là réside aussi la grande différence entre eux.
D’un côté, les saisonniers agricoles, issus de milieux modestes et moins qualifiés, sont amenés à accepter leur condition et à s’en satisfaire. Ils n’ont pas le choix de leur activité et dépendent de leur emploi précaire pour se nourrir. D’un autre côté, c’est un choix de vie pour les travailleurs du spectacle. L’auteur arrive rapidement à la conclusion suivante : « Ce n’est pas « travailleur intellectuel » qui veut. » Celle-ci est grandement facilitée par l’acquisition, dès le départ, d’un capital social et économique. Tout au long de son enquête, Nicolas Roux démontre que le précariat est bien devenu un fait social de plus en plus ancré dans la société française, en revanche, il ne constitue pas une classe sociale, ce monde restant très fragmenté.
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