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DDans les secteurs privé et public, 4,6 millions de personnes travaillent chaque jour pour rendre notre quotidien fluide et confortable. Souvent au détriment des leurs (« Les Invisibles », une plongée dans la France du back office », Fondation Travailler autrement, mars 2022).
Ces invisibles sont à la fois les professions du lien (lien social, mais aussi du relationnel avec les centres de contact et de téléservice), de la prise en charge – à l’hôpital, dans la mise en place de logements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dans les crèches, notamment –, de la « continuité économique et sociale » et de la vie quotidienne (logistique et commerce, enlèvement des ordures ménagères, propreté urbaine, etc.).
Une forme d’éthique des États-Unis, l’éthique du « soin » [le prendre soin de l’autre], tente depuis quarante ans d’attirer notre attention sur ces professions. Alors qu’elle s’est historiquement focalisée sur le monde de la santé au sens large, une économie « care » englobe plus largement ces professions de « besoins de base », dont nous avons pu mesurer l’importance lors de la crise sanitaire et de ses confinements successifs.
Manque de reconnaissance
Si l’on consulte les résultats de l’enquête à travers le prisme de cette éthique, ses enseignements prennent une lumière malheureusement bien maîtrisée. Issue d’une réflexion féministe, l’éthique du « care » a toujours mis en avant, y compris pour les femmes elles-mêmes, les inégalités de genre et de revenus : certaines femmes ont le plaisir d’un temps que d’autres femmes rendent possible, des femmes moins privilégiées.
En fait, 54% des « invisibles » sont des femmes. Ils viennent accueillir ma fille le matin, tôt, à l’école, ils viennent la chercher à 16h30.m. et s’occupent d’elle jusqu’à l’heure du bain, bref ils s’engagent avec elle toute la journée pour lui apprendre à devenir une petite personne dans une communauté. C’est très banal, ça arrive dans ma vie comme dans la tienne. Cette forme d’éthique nous a appris que derrière chaque personne se cache une autre personne sans l’aide de laquelle la première ne serait pas autonome. Cependant, ces personnes sont, le plus souvent, des femmes.
Cette éthique nous a également fait prendre conscience du fait que les « invisibles » manquaient cruellement de reconnaissance au sens premier du terme : 50% des ménages dits invisibles reçoivent ainsi moins de 2 000 euros bruts par mois. A cela s’ajoute, sinon du mépris, au sens compris par le philosophe et sociologue allemand Axel Honneth, du moins indéniablement une faible estime de soi, quand le regard de l’autre n’est pas gratifiant pour les tâches que j’effectue chaque jour.La lutte pour la reconnaissance, Folio, 2013 et 1992 pour l’édition originale).
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