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Cérémonies de remise des diplômes « hackées » par des discours anticapitalistes et technocritiques, désertions en série et reconversions de jeunes ingénieurs en quête de sens : un vent de contestation souffle parmi les jeunes ingénieurs et dans leurs Grandes Ecoles. Sur ces campus souvent isolés, majoritairement peuplés de garçons formés pour devenir une petite élite activement recherchée par les entreprises, de nouveaux débats ont lieu sur la place de la technologie dans la lutte contre le changement climatique. Comment les jeunes ingénieurs se sont-ils politisés ? Antoine Bouzin, ancien ingénieur devenu doctorant en sociologie au Centre Emile-Durkheim (Université de Bordeaux), donne quelques explications.
Entre le discours critique, en novembre 2018, de Clément Choisne, jeune diplômé de Centrale Nantes, et celui des « agro bifurcateurs » d’AgroParisTech en avril, près de quatre ans se sont écoulés, et le mal-être des jeunes ingénieurs semble s’aggraver. Comment expliquer ces tensions ?
Mon hypothèse est que dans ces espaces que sont les écoles d’ingénieurs, il y a des prémisses théoriques et conceptuelles qui ne s’expliquent plus. Il est évident que tout progrès reste bon en soi et implique nécessairement un progrès social. Cet axiome ne fait plus débat, il est même de mauvais goût de le remettre en question et il peut vous faire paraître excentrique.
Lors d’un entretien réalisé dans le cadre de mes recherches sur l’engagement écologique des ingénieurs, un ingénieur faisant une thèse sur low-tech partagé avec moi » dégoûter » ce que son sujet a inspiré aux membres de son laboratoire. Pourtant, ce mythe du progrès – construit pour légitimer la modernisation de la société – a toujours été remis en question. La révolte des luddites [des artisans anglais du textile qui, en 1811-1812, se sont attaqués aux machines à tisser] constitue à cet égard une lutte presque archétypale.
Tout au long du XXe siècle, des intellectuels ont questionné cet implicite, comme Jacques Ellul, Ivan Illich ou Bernard Charbonneau. Chez les ingénieurs, une idée fait son chemin : les mesures politiques et économiques prises ces dernières années pour répondre à l’urgence de la crise n’ont pas été efficaces..
Dans son discours de fin d’études, Clément Choisne, très critique du capitalisme de « surconsommation », conclu avec « Je doute et je m’égare ». Quatre ans plus tard, les « agro bifurcateurs » ont la volonté de pointer du doigt l’enchaînement des responsabilités, et de citer la liste des « coupables » : capitalisme, techno-solutionnisme, cadres supérieurs, science et technologie… Tout se passe comme si le rapport à la science était à nouveau discuté, alors que les notions de progrès technologique étaient jusqu’alors indiscutables.
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