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TémoignagesEntre 2014 et 2016, la société américaine de VTC joue avec la loi en France pour asseoir sa domination sur le secteur. Complices malgré eux, les chauffeurs font les frais de l’insécurité permanente.
« J’ai commencé à rouler avec ma voiture personnelle, sans aucun statut ni assurance pour le transport de personnes. » En 2014, Nadir- le prénom a été changé, comme pour tous les chauffeurs qui ont accepté de témoigner dans cet article – se lance dans UberPop la fleur au fusil. Uber vient de créer en France ce service présenté comme du covoiturage urbain. Le pilote novice, la quarantaine, exerce déjà un emploi salarié dans la maintenance aéronautique. Le Lyonnais est séduit à l’idée d’amortir ses trajets depuis et vers l’aéroport, même s’il s’en doute « tout n’est pas dans les ongles ». « Je savais qu’en covoiturage, c’est le chauffeur qui fixe la destination, pas le passager…il admet. Mais cela ne me donnait pas l’impression d’être un hors-la-loi. »
Pendant les premiers mois, la demande et l’enthousiasme des clients d’UberPop ont fait taire les craintes des chauffeurs. « Ça se passait très bien, insiste Thierry, qui démarre à Lille après une période de chômage. Nous étions 10-15 véhicules à se retrouver sur les parkings, il ne s’est pas passé une demi-heure sans que ça sonne. Les clients étaient sérieux, respectueux. » Cependant, le vernis de » faire du covoiturage « se décolle rapidement. A Lyon, à la sortie du parc des expositions Eurexpo, « Beaucoup de clients appellent des taxis, d’autres Uberraconte Nadir. Il y avait beaucoup de monde et les taxis avaient du mal à trouver leurs clients. Aidé par la géolocalisation, on pourrait enchaîner trois fois plus de courses qu’eux ».
En novembre 2014, à Lyon, une soirée « dégénère ». Les « UberPop » affluent à la sortie d’un festival électro. Les taxis réagissent avec violence. « Pneus crevés, rétroviseurs cassés, intimidation… »dit Nader. Dans d’autres villes aussi, les incidents se multiplient, obligeant les chauffeurs à défiler pour assurer leur sécurité. Nadir et ses homologues « signaler sur WhatsApp les endroits où les taxis se rassemblent ». En même temps, Thierry, « un jour coincé par un taxi » lui barrant la route, prend l’habitude de demander aux clients de passer devant. Les conducteurs décrochent leur smartphone du tableau de bord pour passer inaperçus. « C’était tendu autour des lieux de fête, complète Abdel, qui roule pour UberPop depuis l’été 2014. Il y a des endroits où je n’allais plus. »
« Uber Files », une enquête internationale
« Uber Files » est une enquête basée sur des milliers de documents internes d’Uber transmis par une source anonyme au quotidien britannique Le gardienet transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le monde.
Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une rare plongée dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les villes du monde entier malgré un contexte réglementaire. défavorable. Ils détaillent comment Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de changer la loi à son avantage.
Les « Uber Files » révèlent également comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, le cas échéant, en opérant dans l’illégalité, a mis en place des pratiques jouant délibérément avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à une entrave judiciaire à la enquêtes dont il a fait l’objet.
Retrouvez tous nos articles de l’enquête « Uber Files »
« Il a fallu gérer »
Début 2015, Thierry se plaint auprès d’Uber des difficultés croissantes, des taxis, mais aussi des « Les chauffeurs UberPop qui font un peu n’importe quoi, se présentent avec une voiture différente de celle qu’ils déclarent et passent les comptes ». Des doléances restées lettre morte, assure-t-il : « Des gens d’Uber nous ont expliqué que c’était compliqué en ce moment, et qu’en gros, il fallait se débrouiller. » Le conducteur finit par jeter l’éponge après neuf mois au volant. « Se plaindre, c’était comme pisser dans un violon, abonde Nadir. Nous sommes tombés sur des personnes aux réponses toutes faites : « Nous vous garantissons que vous avez le droit de conduire », « Une entreprise comme la nôtre ne serait pas hors la loi »… »
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